Il a fallu attendre de nombreux mois avant de voir le personnel soignant, homme et femme, vivre un moment de répit. Tellement acculé, il était quasi impossible pour ces derniers de se reposer un instant. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui souffrent psychologiquement et émotionnellement à cause des longs moments de stress passés à leur poste. Il n’est pas exclu que dans un futur très proche, ces derniers vivent des troubles psychiques et organiques résultant d’un traumatisme.
En effet, ce sont eux les premiers acteurs qui ont mené activement la lutte acharnée contre le mal depuis qu’il est apparu au sein de la population. Ce fut une période difficile pour chacun d’eux. La preuve, nombreux sont-ils à ne pas pouvoir supporter le rythme. Cela devenait infernal. À un moment donné, ni le corps ni l’esprit ne répondaient plus à l’appel même si certains semblent tenir le coup. Aujourd’hui on les appelle « les héros en blouses blanches », car il est évident qu’ils ont puisé au plus profond d’eux-mêmes avant que cette lutte ne soit remportée.
Malheureusement, ces gros efforts consentis ne seront pas sans conséquence. Les dommages occasionnés sur leur santé mentale ne sont pas des moindres. D’après le docteur Nathalie Prieto, des Cellules d’Urgence Médico-Psychologiques (CUMP), les ovations qui sont rendus aux soignants chaque soir lorsqu’il sonne 20 heures, ne sont pas inutiles. Car, cela leur permet un tant soit peu de les booster. Mais voilà, tout le monde n’a pas la même ténacité face à la situation. Ainsi, le supplice subi par les moins coriaces ne saurait disparaître sur le champ, dixit la psychiatre référente nationale des CUMP.
Elle poursuit en affirmant que malgré les dispositions qui ont été prises par les autorités pour recevoir les difficultés des soignants, très peu se sont manifestés. C’est seulement les personnes qui ont été retenues pour aller à leur rencontre qui ont pu faire l’état des lieux. Selon docteur Nathalie Prieto, il faut attendre encore un peu de temps voire quelques mois avant de constater les dégâts causés sur leur santé mentale. D’ailleurs, certains montrent déjà des signes de trouble qu’il faudra prendre au sérieux.
Étant au front, il faut reconnaître que ce n’est pas évident pour le soignant de jeter aussi facilement l’éponge. Car, en agissant ainsi, ce dernier pourrait se sentir incapable d’accomplir la mission qui lui a été confiée, explique la psychiatre. Alors, il faut continuer malgré ce qui peut advenir plus tard. Or à en croire le docteur, il est urgent pour toute personne atteinte d’une pathologie d’aller se faire soigner le plus tôt possible. Sinon en remettant à une date ultérieure, il pourrait s’avérer trop tard.
Au moins 10 morts décomptés dans le rang du personnel soignant
Il a fallu qu’il voie l’un des patients dont il prenait soin, mourir suite à un arrêt cardiaque avant de décider de tout abandonner. Lui, c’est un infirmier en service dans l’une des unités aménagées pour soigner les malades. Il finit par sortir de son mutisme en avril dernier quand il avoua dans les colonnes du média ‘’les Échos’’ qu’il n’a plus de force ni physiquement ni mentalement pour continuer le travail.
Il n’y avait pas seulement la mort que ces personnels soignants dans leur ensemble côtoyaient. Ils étaient également confrontés à la douleur qu’exprimaient les malades sur leur lit. Des moments de stress et d’effroi que ces derniers vivaient en plus du fait qu’ils étaient débordés.
L’infirmier poursuit ses propos en affirmant qu’au service de soins intensifs, seulement quelques cas de décès étaient relevés. Il a fallu vivre cette crise de coronavirus pour voir le service dénombré plus de 10 décès au quotidien. Partout, on pouvait sentir la mort rodée autour de nous, ajoute-t-il. En plus de tout cela, il était impossible aux parents de passer voir leurs patients pendant le traitement et encore moins venir récupérer le corps de ceux-ci après leur décès.
C’est pourquoi Xavier Noel, en tant que spécialiste dans le domaine de la santé mentale à l’Université libre de Bruxelles, parle d’une situation de déshumanisation. En effet, c’est à l’AFP que ce dernier confia qu’il s’agit là d’un événement inédit où il était facile de voir des gens mourir loin de leur famille et sans que ces derniers puissent réagir. Une circonstance dans laquelle le personnel soignant ne pouvait rien faire en dépit de tout le travail qu’ils accomplissaient.
Le risque de contamination était présent
En plus du fait qu’ils étaient surchargés, le personnel soignant toutes catégories confondues n’avait pas suffisamment de masques ni de surblouses pour éviter d’être contaminé. Une situation qui a déclenché la colère d’une infectiologue qui s’est exprimé en mars dernier dans les colonnes du média ‘’Les Échos’’. En effet, elle était révoltée, car les services dénombraient au quotidien environ 10 soignants à qui le virus était transmis. Le matériel faisait défaut.
C’était la consternation totale ! Toutefois, la situation n’était pas pareille partout. D’après le professeur Thomas Rimmelé, chef du service d’anesthésie-réanimation aux Hospices civils de Lyon, certains hôpitaux avaient la quantité de matériel nécessaire pour travailler. Mais du fait que tous les médias parlaient sans cesse des problèmes que vivaient les soignants, ces derniers avaient peur d’en manquer. Ce qui accentua leur état d’anxiété et de stress.
Pour le professeur, il s’agissait d’une question d’organisation. Sinon comment comprendre que les soignants des hôpitaux de la ville de Lyon n’ont pas connu de débordement ? Des mesures ont été très tôt prises pour décongestionner les unités de covid-19 qui étaient installées. Ce qui n’a pas été le cas des hôpitaux du Grand-Est et de Paris. Et quand sonne l’heure de rentrer à la maison se reposer auprès de sa famille, c’est encore une grande désolation. À cause du confinement décrété, aucun mouvement de personne ne pointe à l’horizon.
Le stress post-traumatique : des symptômes enregistrés chez un tiers du personnel interne
Comme symptôme on peut parler entre autres de colère, anxiété ou cauchemars. Selon les statistiques de l’ISNI, les internes sont les plus atteints alors qu’ils constituent 44% des médecins hospitaliers. Parmi les jeunes médecins dénombrés, 18,4% présentaient des signes de dépression. Quant aux signes de stress post-traumatique, ils étaient 29,8%. Et pour finir, le taux du personnel anxieux était de 47,1%.
En Espagne, il s’est avéré que 51% des 1200 soignants ayant fait l’objet d’une étude de l’université de Madrid souffrent de la dépression pendant que 53% vivent le stress post-traumatique. Alors qu’en Belgique néerlandophone, 15% des 3300 soignants rencontrés en mai souhaitent changer de métier. En général le taux était de 6%.
Que ça soit en Chine ou en Italie, le personnel soignant avoue traverser des crises de larmes et des troubles de sommeil, sans parler des terreurs nocturnes. Selon l’université catholique du sacré-cœur de Milan, 70% des soignants sont abattu par la fatigue et le stress.
Or, des recherches ont révélé que ces pathologies peuvent perdurer sur deux années voire plus. Voilà pourquoi le docteur Prieto pense qu’ils ne doivent pas être abandonnés, car même après quelques mois où tout semblerait rentrer dans l’ordre, ce ne sera pas encore le cas pour ces derniers.